Contexte

La mobilisation du 13 mai 2024 s’inscrit dans le mouvement de contestation du projet de loi constitutionnelle (PLC) portant sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie par le FLNKS pour les élections provinciales.


A partir de novembre 2023, plusieurs marches pacifiques (21) rassemblent plusieurs milliers de personnes. Elles sont organisées par la CCAT, Cellule de Coordination des Actions de Terrain créée en novembre 2023. Des actions de sensibilisation notamment auprès des parlementaires ont également précédé cette journée.


Le 13 mai, le projet de loi, adopté par le Sénat au début du mois d’avril, est présenté aux députés del’Assemblée nationale malgré le vote défavorable émis par une majorité de conseillers au Congrès de Nouvelle-Calédonie le 13 mai au matin (heure de Nouméa). Le mardi 14 mai au soir (heure de Paris), le PLC est finalement adopté par une majorité de députés.


Dans ce contexte parlementaire décisif et face au passage en force de l’Etat français, ce lundi 13 mai, en Kanaky Nouvelle-Calédonie, la mobilisation pacifique se poursuit sur le terrain, aussi bien dans le Grand Nouméa, qu’en brousse et aux îles ; elle prend la forme d’occupations de carrefours giratoires et de ponts, de barrages filtrants d’axes routiers ou de présence sur les bords de routes.


Dès le matin du 13 mai, puis dans les semaines qui suivent, des manifestants présents pacifiquement sur les points de mobilisation sont arrêtés et rapidement jugés au Tribunal de Nouméa. Des manifestants avaient déjà été arrêtés le 21 février 2024 puis le 9 mai.


Face à cette mobilisation politique qui, rappelons-le, consiste à exprimer son mécontentement face à une procédure parlementaire contestée depuis plusieurs mois par le mouvement indépendantiste, il n’y a pas de réponse politique de la part du gouvernement français : elle est uniquement répressive.

Le gouvernement persiste en effet dans sa volonté de faire adopter le PLC par le Congrès avant l’été tout en menant une répression policière de grande ampleur (voir plus bas les chiffres des arrestations).

Cette fermeté manifestée par les policiers et les gendarmes sur les points de mobilisation en Kanaky Nouvelle-Calédonie contraste avec le laisser-faire assumé de l’Etat face à d’autres mobilisations comme celles des agriculteurs en France qui organisent des opérations de blocage d’envergure en janvier de la même année, car considérés par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin comme des “patriotes”.

Sur ce territoire océanien de la République, l’inculpation de militants Kanak pour des faits d’“entrave à la circulation” sonne comme une rengaine au tribunal de Nouméa alors que les “citoyens vigilants” des
quartiers européens ou mixtes de Nouméa ne sont pas inquiétés ni par la police ni par la justice, Yves Dupas remerciant même ces Calédoniens d’avoir aidé à éviter une “guerre civile” sur le territoire.

C’est donc bien l’extrême violence de la répression policière qui a pu parfois provoquer des débordements.

Ils ont pris la forme de rassemblements spontanés avec des “armes” – sachant qu’une fronde, un caillou dans la main ou dans la poche sont considérées comme des armes, pour se défendre “au cas où” face à la présence systématique et provocatrice des forces de l’ordre sur les points de mobilisation et à la militarisation du pays, justifiant aux yeux de la justice le chef d’accusation d’“attroupement armé” ; de même, les caillassages même sans incapacité temporaire de travail (ITT) chez les gendarmes ou policiers ou de dommages sur leurs véhicules ont légitimé l’accusation récurrente de “violences contre les forces de l’ordre”.

Bilan des arrestations depuis le 13 mai 2024 et leurs conséquences au 1er janvier 2025.


Les derniers chiffres fournis par le procureur de la république Yves Dupas, invité sur RRB le 7 janvier 2025, sont les suivants. A noter que dans cet interview, il affirme que l’ensemble des procédures liées à “l’insurrection” du 13 mai ont été menées à terme.


Afin de sensibiliser les citoyens français à l’ampleur de la répression exercée par la justice coloniale faite en leur nom, il est utile de rapporter ces chiffres à la population française métropolitaine, la population kanak étant de 112 000 et la population métropolitaine française de 65 500 000 (recensement de 2021).

Depuis le 13 mai 2024, dans le cadre de la mobilisation contre le projet de loi constitutionnelle modifiant le corps électoral, il y a eu :

  • gardes à vue (GAV) : 2530 (équivaudrait à environ 1 480 000)
  • sans suite (relâchés) : 600 (équivaudrait à environ 350 000)
  • mesures alternatives : 520 (équivaudrait à environ 300 000)
  • convocations en justice : 650 (équivaudrait à environ 379 000)
  • défèrements (présentation aux autorités judiciaires) : 502 (équivaudrait à environ 293 000)
    dont 261 comparutions immédiates (équivaudrait à environ 152 000)
  • mandats de dépôt : 243 (équivaudrait à environ 141 000)
  • ouverture d’informations judiciaires : 30 (équivaudrait à environ 17 500)

Gardes à vue (GAV) : 2530
Même si sur les 2530 gardés à vue, 600 (23,71%) sont relâchés, tous sont fichés (identité,
photos, empreintes digitales…). Comme revendiqué par le Haut Commissaire dans son interview du 8 novembre 2024 sur RRB : “Maintenant, on les connaît”. Cela donne une idée de l’utilisation massive et abusive de la garde à vue dont le but premier est de ficher les Kanak.


Mesures alternatives : 520 (20,55% des GAV).
Il s’agit d’un avertissement accompagné d’une période probatoire dont la durée peut aller jusqu’à deux ans avec interdiction possible jusqu’à six mois de manifester, de se rendre sur certains lieux… Ces mesures entraînent une restriction des libertés avec la menace de passer devant les tribunaux en cas de non respect de ces mesures.


Convocations en justice : 650 (25,69%)
Devant l’engorgement des tribunaux et la faiblesse des motifs de poursuite, beaucoup de personnes poursuivies se voient remettre une convocation pour être jugées dans un délai maximum de 6 mois.
Dans l’attente du procès, la personne peut être placée sous contrôle judiciaire ou assignée à résidence avec un bracelet électronique. C’est une autre forme de privation de liberté et de contrôle des militants bien qu’ils soient présumés innocents en attente de leur procès.


Défèrements : 502 (19,84% des GAV)
Comparution sur Reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), convocation par officier de police judiciaire (COPJ), comparution immédiate (261) sont les outils juridiques utilisés dans la plupart des cas par la justice coloniale pour juger le plus rapidement possible les militants, sans enquête, sur la seule base du procès verbal de garde à vue.
Une minorité seulement est présentée à un juge d’instruction pour les accusations les plus graves : 30.
Mandats de dépôt (prison) : 243 (~9,6% des GAV)
Soit :

  • prononcés par le juge des libertés à la demande du procureur en attendant que la personne soit
    jugée sans qu’elle ne soit mise en examen.
  • prononcés par le juge des libertés à la demande du juge d’instruction à l’encontre de la personne mise en examen (30).
  • après un jugement au tribunal correctionnel qui condamne la personne à une peine de prison.

Conséquences

  • L’analyse de ces données ainsi que les témoignages de prévenus lors des procès font apparaître les buts de cette répression policière et judiciaire massive.
    ● Fichage : plus de 2500 militants sont fichés. Ce fichage permet de les identifier facilement par la
    suite s’ils sont photographiés par les Forces de l’ordre, les drones ou lors de contrôles policiers
    ● Expériences traumatisantes : les arrestations sont souvent brutales accompagnées de propos
    humiliants et racistes, et parfois de violences physiques (justifiant le chef d’accusation
    “rebellion”)
    ● Privations de liberté et contrôle des militants : les nombreuses procédures judiciaires
    expéditives (mesure alternative, convocation en justice, CRPC, COPJ) entraînent toutes sortes
    de privations de liberté : assignations à résidence, interdiction de manifester, de se rendre sur
    certains lieux
    ● Choc carcéral bouleversant pour ceux qui se retrouvent au dépôt du Camp Est où les détenus
    sont enfermés communément à 4, parfois à 5, dans des cellules prévues pour deux personnes
    de 12m2 dont 10,71m2 de pièce à vivre en attente de leur procès
    ● Peines de prison avec sursis (voir la liste des prisonniers politiques) : au regard de la faiblesse
    des motifs de poursuite, un grand nombre de peines de sursis sont prononcées lors des
    jugements. Comme l’a dit un condamné, “le sursis, c’est comme avoir une laisse autour du cou“
    ● Peines de prison ferme (voir la liste des prisonniers politiques) : elles sont particulièrement
    lourdes dans les premiers procès, entre avril et juillet 2024.

A titre d’exemple, une peine de 9 mois de prison ferme prononcée début juin pour “entrave à la
circulation”, “violences sur les forces de l’ordre” et “rébellion” à l’encontre d’un jeune Kanak qui
ne faisait que passer sur un barrage en début de soirée et qui a pris une chaise en plastique
pour se protéger de l’arme pointée sur lui par un gendarme, sans blesser personne, puis qui a
protesté vivement quand on est venu l’arrêter car il ne présentait aucune menace.

Être Kanak sur un barrage un soir de juin 2024 dans le grand Nouméa : “mauvaise” couleur de peau au
mauvais endroit au mauvais moment avec à la clé plusieurs mois à souffrir d’une longue
privation de liberté et à subir les conditions de détention de l’une des pires prisons de France.


Conclusion


On a bien affaire à une justice coloniale qui fait le choix de traiter les actes de résistance des militants
kanak comme des actes de délinquance ou criminels, qui refuse d’entendre les motivations politiques
des prévenus quand ceux-ci l’expriment : “jeter une pierre c’est pas politique “, dit un juge, et qui
parallèlement ne poursuit pas les personnes présentes sur les barrages des “citoyens vigilants” souvent
lourdement armés.
Ce traitement permet aux responsables politiques de l’Etat français de se dédouaner de leurs
responsabilités et de leur manque de clairvoyance, d’inverser les rôles, d’imposer dans les médias
comme seul récit légitime leur fable du “coup d’Etat préparé et planifié” (le Haut-Commissaire Louis
Lefranc), du “putsch” (le procureur Yves Dupas), accréditant la thèse que “la CCAT est une organisation
mafieuse “ (Gérald Darmanin).